👉 Ce qui – peut-être – surprend le plus dans l’Égypte ancienne, c’est le gigantisme surhumain de certaines réalisations de pierre, que nous ne saurions peut-être pas même imiter de nos jours, et qui nous posent de très difficiles et réels problèmes, restés pour la plupart sans solutions : les Colosses de Memnon sont l’un de ceux-ci…
👉 Ces deux sculptures monolithiques monumentales, élevées sur la rive occidentale de l’ancienne Thèbes d’Égypte, à Kom Al-Hettan (Deir el Medineth), précisément, sur la route qui mène à la Vallée des Reines, seraient selon les uns de granite rouge d’Assouan (ce qui nous paraît incorrectement identifié), et selon d’autres de brèche ou de quartzite rouge, voire de porphyrine gréseuse, toutes pierres extrêmement dures à la taille, hautes de 18 mètres (plus de 20 m avec les couronnes aujourd’hui disparues) et d’un poids de plus de 1 300 tonnes chacune, sont l’une et l’autre posées sur un piédestal monolithique de 500 tonnes chacun, ce qui en fait – avec 1800 tonnes par ensemble, ce qui les placent parmi les plus lourdes statues érigées dans l’Histoire.
👉 Ces colosses sont malheureusement fortement endommagés, et souffrent depuis l’Antiquité déjà ; ils seraient les derniers vestiges du gigantesque temple funéraire du pharaon Amenhotep III (1390-1352 av. J.-C., XVIIIème dynastie), l’Amenophium, un édifice grandiose qui n’existe plus, de beaucoup plus imposant que les sanctuaires de Ramsès II (le Ramesseum) et de Ramsès III (Medinet-Abou). Ils représentent le monarque assis sur le trône de ses ancêtres, les mains sagement posées sur les genoux ; de chaque côté de ses jambes sont figurées sa mère, Moutemouia, et son épouse, la fameuse mais étonnante Tiyi.
👉 Sur les deux côtés du trône figure une représentation emblématique classique, représentant l’union de la Haute-Égypte à la Basse-Égypte, le Sema-Taouy, représenté par deux « Nil » nouant le papyrus et le lys, emblèmes respectifs de ce qui deviendra, grâce à cette action, celui du « Double pays ». Strabon, historien et géographe grec (cerca 57-25 B.C.), rapporte que, lors du tremblement de terre qui eut lieu en l’an 27 avant notre ère, une grande partie du temple s’écroula et le colosse droit se fissura brutalement de l’épaule jusqu’au bassin. La légende raconte qu’à partir de ce moment, la statue commença à émettre des sons, des plaintes, et à ‘parler’ au lever du Soleil. Ce phénomène, aujourd’hui expliqué, était très probablement dû à la dilatation de la pierre sous l’effet des premiers rayons du soleil levant, après le froid de la nuit, qui faisant se dilater les pierres, rendaient dans le même temps audibles leurs grincements. En réalité seule la statue de droite (qui est celle de gauche lorsqu’on regarde les colosses de face, comme sur la photo ci-dessous) était dénommée Memnon, justement à cause des sons émis lorsque le vent s’engouffrait dans les fissures causées par le violent tremblement de terre… Mais l’autre prit… le même nom !
👉 C’est ainsi qu’au début de l’ère chrétienne, les Grecs attribuèrent ce géant de pierre au mythologique Memnon, fils de l’Aurore : selon la légende homérique en effet, Memnon, tué sur le champ de bataille lors de la guerre de Troie, retrouvait spontanément la vie à l’aube de chaque jour et se mettait alors à chanter de joie et de reconnaissance… Ces colosses devinrent rapidement un lieu de pèlerinage pour les Grecs, mais aussi pour les Romains, qui vinrent en nombre entendre l’Oracle de Memnon, y compris certains empereurs, comme Hadrien aux alentours de l’an 130.
👉 Au IIIème siècle, l’empereur romain Septime Sévère, qui voulait honorer la divinité qui se manifestait ainsi chaque matin, ordonna la restauration de la statue, qui réparée, a depuis cessé de chanter, au grand dam des amateurs de merveilles.
👉 Ces deux géants se trouvaient donc sur le parvis du temple funéraire d’Amenhotep III, alors le plus grand ensemble de temple de la rive Ouest de Thèbes. La taille de ces deux colosses laisse imaginer à quelle dimension fut pensée et réalisée cette entreprise par Amenhotep fils de Hapou, architecte du roi : le temple s’étendait alors du premier pylône, dont la hauteur équivalait celle des colosses, jusqu’aux limites des terres arables, quelques 500 mètres plus loin à l’Ouest. Il n’en reste que des vestiges épars tant les monuments qu’il contenait servirent de carrière dès les temps antiques. On a en effet retrouvé des reliefs en provenant dans le temple que se fit construire Merenptah, le fils et successeur de Ramsès II, à peine un siècle après.
👉 Des fouilles ont actuellement lieu sur ce site, afin de mieux en comprendre l’architecture et le plan, un sanctuaire dédié au dieu Amon et à la gloire d’Amenhotep III lui-même.
👉 Ce que l’on en connaît, outre les deux fameux colosses, sont les traces d’au moins trois pylônes, une grande colonnade menant à une grande cour solaire, qui devait précéder un ou plusieurs hypostyles et le sanctuaire. Dans la grande cour, dont l’aspect devait se rapprocher de celle que le roi fit édifier à Louxor sur l’autre rive, de grands colosses d’Amenhotep III devaient être intercalés entre chaque grande colonne. On peut encore voir les bases de ces colonnades sur place, ainsi que des pieds gigantesques, restes isolés des grandes statues qui rythmaient le péristyle, si toutefois on en obtient l’accès. On a également retrouvé une grande stèle commémorative du règne, qui a été dressée au niveau du deuxième pylône.
👉 Les membres de l’expédition en Égypte de Napoléon Bonaparte (1799-1802) sont, on le sait, les premiers à étudier méthodiquement et ‘scientifiquement’ les monuments de cette région du monde. Voici ce que disent Jean-Baptiste Prosper Jollois et Edouard de Devilliers du Terrage à propos de ces monolithes géants : « Les deux colosses regardent l’Est Sud-Est et se présentent parallèlement au cours du Nil. Ils sont connus dans le pays sous le nom de Tama et Chama. Chama est le colosse du Sud, et Tama le colosse du Nord. L’un et l’autre se ressemblent à beaucoup d’égards, surtout sous le rapport des arts, mais ils offrent aussi, dans leurs dimensions, des différences que nous allons successivement indiquer. Ils sont tous deux d’une espèce de grès brèche, composé d’une masse de cailloux agatisés, liés entre eux par une pâte d’une dureté remarquable. Cette matière, très denses et d’une composition tout à fait hétérogène, offre à la sculpture des difficultés bien plus grandes que celles que présente le granit ; cependant, les sculpteurs égyptiens en ont triomphé avec le plus grand succès (…). Aucune montagne de brèche ne laisse voir ces traces d’outils si communes dans les carrières de grès, et fréquentes aussi dans les carrières de granit : une matière aussi dure, aussi rebelle aux outils tranchants, n’était pas susceptible en effet de s’exploiter par les mêmes méthodes que les grès ordinaires, pas même par celle employée pour le granit. Nous ne savons rien de leur procédé pour équarrir les blocs de cette roche, pour redresser les surfaces et leur donner ce beau poli qu’on observe encore en quelques parties. Mais, si nous ne pouvons juger des moyens, nous ne sommes pas moins forcés d’admirer les résultats. Rien n’est plus propre à donner une haute idée de l’avancement des arts mécaniques dans l’Antiquité, que la belle exécution des figures et la pureté des hiéroglyphes gravés sur cette matière, dont la dureté et la difficulté à être travaillée l’emportent sur celle du granit. Tout cela ne rebutait pas les Égyptiens, que les obstacles ne semblaient jamais embarrasser ; la liberté du travail n’en est pas même altérée. C’est-il rencontré sous l’outil du graveur, au milieu d’un caractère hiéroglyphique, un silex ou quelqu’une des agates dont cette brèche est semée, le trait ne s’en trouve pas moins continué avec toute sa pureté, et jamais ni l’agate, ni la partie de la pierre qui l’enveloppe, ne sont le plus légèrement éclatées. »
👉 Cela rappelle les propos du dessinateur et sculpteur Nestor Lhote (1780-1842), qui travailla avec Jean-François Champollion, s’émerveillant (Histoire de l’Art dans l’Antiquité, Paris 1882, tome I, p. 676) : « Les sculptures de ce tombeau [de Menefra, à Memphis] sont remarquables par leur élégance et leur finesse. Le relief en est d’une telle légèreté qu’on ne peut le comparer qu’à celui de nos pièces de cinq francs ! Une telle perfection de travail, dans un ouvrage si ancien, confirme cette observation que plus l’on remonte dans l’antiquité vers l’origine de l’art égyptien et plus les produits de cet art sont parfaits, comme si le génie de ce peuple, à l’inverse de celui des autres, se fut formé tout à coup. De l’art égyptien, nous ne connaissons que sa décadence. »
👉 Quant aux archéologues et architectes Charles Chipiez et Georges Perrot, ils s’interrogent devant les difficultés maîtrisées dans les sculptures de l’Ancien Empire : « Ces roches si dures, comment le sculpteur arrivait-il à les entamer et à les tailler ? C’est à grand-peine que l’on y parvient, aujourd’hui même [en 1882], à l’aide de ciseaux d’acier de la meilleure trempe ; encore le travail est-il très lent et très pénible ; on est obligé de s’arrêter à chaque instant pour affûter le tranchant qui s’émousse sur la roche et pour retremper l’instrument ; mais le contemporain de Khafra [Khephren], on est d’accord sur ce point, n’avait pas à sa disposition de ciseau d’acier. »
👉 L’égyptologue René-Adolphe ‘Aor’ Schwaller de Lubicz-Milosz (1887-1961), qui étudia le site de Karnak durant quinze ans, fait lui aussi part de sa stupéfaction (Le Roi de la Théocratie pharaonique, éd. Champs Flammarion n°117. p. 137) : « C’est dans les hautes falaises de ce pur calcaire que les Anciens ont creusé, par exemple, les tombes royales de Thèbes, taillant aussi facilement les rognons de silex que le calcaire tendre. Le fait que jamais aucun rognon de silex ne fut arraché de son alvéole révèle des outils capables de les scier aisément et, par conséquent, une technique et des moyens surprenants. »
👉 Louis-Claude Vincent (1906-1988), qui fut professeur au Collège de France et s’intéressa de très près aux civilisations disparues, renchérit avec le même étonnement à propos des « gisements de calcaire blanc utilisé pour la confection des tombeaux et monuments [d’Égypte] le long des deux rives du Nil, depuis Esneh [50 km au sud de Louxor] jusqu’au Caire, soit sur une longueur d’environ 700 km. Ces formations calcaires renferment de nombreuses couches de rognons de silex disposées horizontalement. C’est à travers ces formations que furent creusées directement dans les hautes falaises de Thèbes, les tombes royales des premières dynasties. Or comment se fait-il que les rognons de silex furent taillés en place de façon aussi nette et parfaite que le calcaire tendre ? (…) Il ne faut pas oublier, en effet, que le silex est la pierre présentant la dureté la plus élevée, bien supérieure à celle des aciers ordinaires. Nous pensons, dès lors, qu’il faut songer aux outils de diamants, seule explication possible. »
👉 Mais il y a plus fort, plus étonnant, plus inexplicable encore : le méticuleux anglais William Matthew Flinders Petrie (1853-1942), qui fut géomètre avant de devenir égyptologue, observe lui aussi (The Pyramids and Temples of Gizeh, p. 74 et 75), encore plus stupéfait : « Les hiéroglyphes ont été ciselés avec une pointe extrêmement acérée ; la diorite n’a pas été grattée ou burinée, mais littéralement incisée. » Ce qui ne laisse pas de surprendre : la diorite est une pierre d’une extrême dureté, que le meilleur acier peine à rayer… Il poursuit (ibidem p. 74 et 75) : « Les sillons étant larges de moins d’1/150 de pouce [2,54 cm], il est évident que la pointe utilisée devait être beaucoup plus dure que le quartz et suffisamment résistante pour ne pas se fendre… Son épaisseur ne devait pas excéder 1/200 de pouce. Des intervalles de 1/30 de pouce séparent certains des sillons. (…) La nature du travail réalisé semble indiquer que la pierre précieuse utilisée ici était le diamant ; et seule des considérations sur sa rareté en général et sur son absence d’Égypte en particulier, viennent contredire cette conclusion. » (op. cit. p. 74). Il continue et insiste, encore plus perplexe : « L’intensité de la pression, que l’on peut mesurer à la rapidité avec laquelle les foreuses et les scies se sont enfoncées dans la pierre, est très surprenante ; une force d’au moins deux ou trois tonnes a dû s’exercer sur les foreuses de 10 cm de diamètre utilisées pour percer le granit. Sur la carotte de granit N°7, la spirale de la taille s’enfonce d’un pouce [2,54 cm] à chaque tour complet de six pouces, ce qui constitue une véritable performance, ces sillons en spirales de grande amplitude ne peuvent être attribués qu’à l’enfoncement d’une foreuse circulaire dans le granit sous une énorme pression. » (op. cit. p. 78). Pour lui, les ouvriers ont dû « mettre au point une méthode de sciage circulaire plutôt que linéaire, en donnant à la lame la forme d’un tube, qui forait des entailles circulaires dans la roche par la rotation, en évidant ensuite la partie centrale – ou carotte – faisant qu’ils parvenaient à creuser des trous relativement larges avec un minimum d’efforts. » (ibidem p. 76). Par ailleurs, ils devaient posséder des machines surpuissantes « semblables aux instruments de précision que nous-mêmes venons seulement de réinventer. » (op. cit. p. 25).
👉 Pour l’américain Christopher Dunn, expert en technologie de précision (que nous sommes allés questionner chez lui, à Danville en Illinois, aux USA, en mai 2008), il faut, pour réaliser de telles performances, des outils tournant cinq cents fois plus vite que ceux dont nous disposons actuellement…
👉 Vous savez désormais ce qui nous a motivé à écrire au sujet des fameux Colosses de Memnon, aspects de la culture de l’ancienne Egypte pourtant très étonnants, mais évidemment laissés de côté par la quasi-totalité des ouvrages en égyptologie, et surtout, par tous les égyptologues eux-mêmes suivis des Trolls ignares…
De nos jours, et à cause de ceux-ci, ces deux statues ne sont désormais qu’une brève étape photographique sur le parcours des touristes venus du monde entier ; c’est tout…